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est une espèce de conscience, une conscience où tout se compense et se neu­tralise, une conscience dont toutes les parties éventuelles, s’équilibrant les unes les autres par des réactions toujours égales aux actions, s’empêchent réciproquement de faire saillie. Mais pour toucher la réalité de l’esprit, il faut se placer au point où une conscience individuelle, prolongeant et conservant le passé dans un présent qui s’en enrichit, se soustrait ainsi à la loi même de la nécessité, qui veut que le passé se succède sans cesse à lui-même dans un présent qui le répète simplement sous une autre forme, et que tout s’écoule toujours. En passant de la perception pure à la mémoire, nous quittions définitivement la matière pour l’esprit.

VI. — La théorie de la mémoire, qui forme le centre de notre travail, devait être à la fois la conséquence théorique et la vérification expérimentale de notre théorie de la perception pure. Que les états cérébraux qui accompagnent la perception n’en soient ni la cause ni le duplicat, que la perception entretienne avec son concomitant physiologique le rapport de l’action virtuelle à l’action commencée, c’est ce que nous ne pouvions établir par des faits, puisque tout se passera dans notre hypothèse comme si la perception résultait de l’état cérébral. Dans la perception pure, en effet, l’objet perçu est un objet présent, un corps qui modifie le nôtre. L’image en est donc actuellement donnée, et dès lors les faits nous permettent indifféremment de dire (quittes à nous entendre très inégalement avec nous-mêmes) que les modifications cérébrales esquis­sent les réactions naissantes de notre corps ou qu’elles créent le duplicat conscient de l’image présente. Mais il en est tout autrement pour la mémoire, car le souvenir