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l’action réelle des choses extérieures pour en arrêter et en retenir l’action virtuelle : cette action virtuelle des choses sur notre corps et de notre corps sur les choses est notre perception même. Mais comme les ébranlements que notre corps reçoit des corps environnants déterminent sans cesse, dans sa substance, des réactions naissantes, et que ces mouvements intérieurs de la substance cérébrale donnent ainsi à tout moment l’esquisse de notre action possible sur les choses, l’état cérébral correspond exactement à la perception. Il n’en est ni la cause, ni l’effet, ni, en aucun sens, le duplicat : il la continue simplement, la perception étant notre action virtuelle et l’état cérébral notre action commencée.

IV. — Mais cette théorie de la « perception pure » devait être atténuée et complétée tout à la fois sur deux points. Cette perception pure, en effet, qui serait comme un fragment détaché tel quel de la réalité, appartiendrait à un être qui ne mêlerait pas à la perception des autres corps celle de son corps, c’est-à-dire ses affections, ni à son intuition du moment actuel celle des autres moments, c’est-à-dire ses souvenirs. En d’autres termes, nous avons d’abord, pour la commodité de l’étude, traité le corps vivant comme un point mathé­matique dans l’espace et la perception consciente comme un instant mathéma­tique dans le temps. Il fallait restituer au corps son étendue et à la perception sa durée. Par là nous réintégrions dans la conscience ses deux éléments subjectifs, l’affectivité et la mémoire.

Qu’est-ce qu’une affection ? Notre perception, disions-nous, dessine l’action possible de notre corps sur les autres corps. Mais notre corps, étant étendu, est capable d’agir sur lui-mê