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les autres, occupant par conséquent en un certain sens la totalité de l’étendue (bien que nous n’aperce­vions de cette chose que son centre et que nous en arrêtions les limites au point où notre corps cesserait d’avoir prise sur elle). Nous n’y gagnons pas seulement, en métaphysique, de résoudre ou d’atténuer les contradictions que soulève la divisibilité dans l’espace, contradictions qui naissent toujours, comme nous l’avons montré, de ce qu’on ne dissocie pas les deux points de vue de l’action et de la connaissance. Nous y gagnons surtout de faire tomber l’insurmontable barrière que le réalisme élevait entre les choses étendues et la perception que nous en avons. Tandis, en effet, qu’on posait d’un côté une réalité extérieure multiple et divisée, de l’autre des sensations étrangères à l’étendue et sans contact possible avec elle, nous nous apercevons que l’éten­due concrète n’est pas divisée réellement, pas plus que la perception immé­diate n’est véritablement inextensive. Partis du réalisme, nous revenons au même point où l’idéalisme nous avait conduits ; nous replaçons la perception dans les choses. Et nous voyons réalisme et idéalisme tout près de coïncider ensemble, à mesure que nous écartons le postulat, accepté sans discussion par l’un et par l’autre, qui leur servait de limite commune.

En résumé, si nous supposons une continuité étendue, et, dans cette conti­nuité même, le centre d’action réelle qui est figuré par notre corps, cette activité paraîtra éclairer de sa lumière toutes les parties de la matière sur lesquelles à chaque instant elle aurait prise. Les mêmes besoins, la même puissance d’agir qui ont découpé notre corps dans la matière vont délimiter des corps distincts dans le milieu qui nous environne. Tout se passera comme si nous laissions filtrer