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son action sur les choses, et n’en être que la répercussion intellectuelle. Partons donc de cette force d’agir comme du principe véritable ; supposons que le corps est un centre d’action, un centre d’action seulement, et voyons quelles conséquences vont découler de là pour la perception, pour la mémoire, et pour les rapports du corps avec l’esprit.

III. — Pour la perception d’abord. Voici mon corps avec ses « centres perceptifs » . Ces centres sont ébranlés, et j’ai la représentation des choses. D’autre part, j’ai supposé que ces ébranlements ne pouvaient ni produire ni traduire ma perception. Elle est donc en dehors d’eux. Où est-elle ? Je ne saurais hésiter : en posant mon corps, j’ai posé une certaine image, mais, par là aussi, la totalité des autres images, puisqu’il n’y a pas d’objet matériel qui ne doive ses qualités, ses déterminations, son existence enfin à la place qu’il occupe dans l’ensemble de l’univers. Ma perception ne peut donc être que quelque chose de ces objets eux-mêmes ; elle est en eux plutôt qu’ils ne sont en elle. Mais qu’est-elle au juste de ces objets ? Je vois que ma perception paraît suivre tout le détail des ébranlements nerveux dits sensitifs, et d’autre part je sais que le rôle de ces ébranlements est uniquement de préparer des réactions de mon corps sur les corps environnants, d’esquisser mes actions virtuelles. C’est donc que percevoir consiste à détacher, de l’ensemble des objets, l’action possible de mon corps sur eux. La perception n’est alors qu’une sélection. Elle ne crée rien ; son rôle est au contraire d’éliminer de l’ensemble des images toutes celles sur lesquelles je n’aurais aucune prise, puis, de chacune des images retenues elles-mêmes, tout ce qui n’intéresse pas les besoins de l’image que j’appelle mon corps. Telle est du moins l’