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de dire, au début de ce livre, que la distinction du corps et de l’esprit ne doit pas s’établir en fonction de l’espace, mais du temps.

Le tort du dualisme vulgaire est de se placer au point de vue de l’espace, de mettre d’un côté la matière avec ses modifications dans l’espace, de l’autre des sensations inextensives dans la conscience. De là l’impossibilité de comprendre comment l’esprit agit sur le corps ou le corps sur l’esprit. De là les hypothèses qui ne sont et ne peuvent être que des constatations déguisées du fait, — l’idée d’un parallélisme ou celle d’une harmonie préétablie. Mais de là aussi l’impossibilité de constituer soit une psychologie de la mémoire, soit une métaphysique de la matière. Nous avons essayé d’établir que cette psychologie et cette métaphysique sont solidaires, et que les difficultés s’atténuent dans un dualisme qui, partant de la perception pure où le sujet et l’objet coïncident, pousse le développement de ces deux termes dans leurs durées respectives, — la matière, à mesure qu’on en continue plus loin l’analyse, tendant de plus en plus à n’être qu’une succession de moments infiniment rapides qui se dédui­sent les uns des autres et par là s’équivalent ; l’esprit étant déjà mémoire dans la perception, et s’affirmant de plus en plus comme un prolongement du passé dans le présent, un progrès, une évolution véritable.

Mais la relation du corps à l’esprit en devient-elle plus claire ? À une distinction spatiale nous substituons une distinction temporelle : les deux termes en sont-ils plus capables de s’unir ? Il faut remarquer que la première distinction ne comporte pas de degrés : la matière est dans l’espace, l’esprit est hors de l’espace ; il n’y a pas de transition possible entre eux.