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sur aucune des relations d’espace. La forme visuelle, le relief visuel, la distance visuelle deviennent alors les symboles de perceptions tactiles. Mais il faudra qu’on nous dise pourquoi ce symbolisme réussit. Voici des objets qui changent de forme et qui se meuvent. La vue constate des variations déterminées qu’ensui­te le toucher vérifie. Il y a donc, dans les deux séries visuelle et tactile ou dans leurs causes, quelque chose qui les fait correspondre l’une à l’autre et qui assure la constance de leur parallélisme. Quel est le principe de cette liaison ?

Pour l’idéalisme anglais, ce ne peut être que quelque deus ex machina, et nous sommes ramenés au mystère. Pour le réalisme vulgaire, c’est dans un espace distinct des sensations que se trouverait le principe de la corres­pondance des sensations entre elles ; mais cette doctrine recule la difficulté et même l’aggrave, car il faudra qu’elle nous dise comment un système de mouvements homogènes dans l’espace évoque des sensations diverses qui n’ont aucun rapport avec eux. Tout à l’heure, la genèse de la perception visuelle d’espace par simple association d’images nous paraissait impliquer une véritable création ex nihilo ; ici, toutes les sensations naissent de rien, ou du moins n’ont aucun rapport avec le mouvement qui les occasionne. Au fond, cette seconde théorie diffère beaucoup moins qu’on ne croit de la première. L’espace amorphe, les atomes qui se poussent et s’entre-choquent, ne sont point autre chose que les perceptions tactiles objectivées, détachées des autres perceptions en raison de l’importance exceptionnelle qu’on leur attribue, et érigées en réalités indépendantes pour être distinguées par là des autres sensations, qui en deviennent les symboles. On les a d’ailleurs vidées, dans cette opé