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cas que l’image rétinienne ? Mais n’est-il pas vrai, comme nous l’avons montré au début de ce livre, que, dans la perception visuelle d’un objet, le cerveau, les nerfs, la rétine et l’objet lui-même forment un tout solidaire, un processus continu dont l’image rétinienne n’est qu’un épisode : de quel droit isoler cette image pour résumer toute la perception en elle ? Et puis, comme nous l’avons montré également[1], une surface pourrait-elle être perçue comme surface autrement que dans un espace dont on rétablirait les trois dimensions ? Berkeley, du moins, allait jusqu’au bout de sa thèse : il déniait à la vue toute perception de l’étendue. Mais les objections que nous élevons n’en acquièrent alors que plus de force, puisqu’on ne comprend pas comment se créerait par une simple association de souvenirs ce qu’il y a d’original dans nos percep­tions visuelles de la ligne, de la surface et du volume, perceptions si nettes que le mathématicien s’en contente, et raisonne d’ordinaire sur un espace exclu­sivement visuel. Mais n’insistons pas sur ces divers points, non plus que sur les arguments contestables tirés de l’observation des aveugles opérés : la théorie, classique depuis Berkeley, des perceptions acquises de la vue ne paraît pas devoir résister aux assauts multipliés de la psychologie contem­poraine[2]. Laissant de côté les difficultés d’ordre psychologique, nous nous bornerons à appeler l’attention sur un autre point, qui est pour nous l’essentiel. Supposons un instant que la vue ne nous renseigne originairement

  1. Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889, pp. 77 et 78.
  2. Voir, à ce sujet : Paul JANET, La perception visuelle de la distance, Revue philoso­phique, 1879, t. VII, p. 1 et suiv. — William JAMES, Principles ot Psychology, t. II, chap. XXIICf. au sujet de la perception visuelle de l’étendue : DUNAN, L’espace visuel et l’espace tactile (Revue philosophique, février et avril 1888, janvier 1889).