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ciproques, prouve assez qu’ils n’ont pas les limites précises que nous leur attribuons. Notre perception dessine, en quelque sorte, la forme de leur résidu ; elle les termine au point où s’arrête notre action possible sur eux et où ils cessent, par conséquent, d’intéresser nos besoins. Telle est la première et la plus apparente opération de l’esprit qui perçoit : il trace des divisions dans la continuité de l’étendue, cédant simplement aux suggestions du besoin et aux nécessités de la vie pratique. Mais pour diviser ainsi le réel, nous devons nous persuader d’abord que le réel est arbitrairement divisible. Nous devons par conséquent tendre au-dessous de la continuité des qualités sensi­bles, qui est l’étendue concrète, un filet aux mailles indéfiniment déformables et indéfiniment décroissantes : ce substrat simplement conçu, ce schème tout idéal de la divisibilité arbitraire et indéfinie, est l’espace homogène. – Mainte­nant, en même temps que notre perception actuelle et pour ainsi dire instan­tanée effectue cette division de la matière en objets indépendants, notre mémoire solidifie en qualités sensibles l’écoulement continu des choses. Elle prolonge le passé dans le présent, parce que notre action disposera de l’avenir dans l’exacte proportion où notre perception, grossie par la mémoire, aura contracté le passé. Répondre à une action subie par une réaction immédiate qui en emboîte le rythme et se continue dans la même durée, être dans le présent, et dans un présent qui recommence sans cesse, voilà la loi fonda­mentale de la matière : en cela consiste la nécessité. S’il y a des actions libres ou tout au moins partiellement indéterminées, elles ne peuvent appartenir qu’à des êtres capables de fixer, de loin en loin, le devenir sur lequel leur propre devenir s’applique, de le solidifier en moments