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autre chose, dans ce sentiment, que la conscience des mouvements déjà effectués ou commencés à la périphérie du corps ? C’est donc en vain que nous voudrions fonder la réalité du mouvement sur une cause qui s’en distingue : l’analyse nous ramène toujours au mouve­ment lui-même.

Mais pourquoi chercher ailleurs ? Tant que vous appuyez le mouvement contre la ligne qu’il parcourt, le même point vous paraît tour à tour, selon l’origine à laquelle vous le rapportez, en repos ou en mouvement. Il n’en est plus de même si vous extrayez du mouvement la mobilité qui en est l’essence. Quand mes yeux me donnent la sensation d’un mouvement, cette sensation est une réalité, et quelque chose se passe effectivement, soit qu’un objet se déplace à mes yeux, soit que mes yeux se meuvent devant l’objet. À plus forte raison suis-je assuré de la réalité du mouvement quand je le produis après avoir voulu le produire, et que le sens musculaire m’en apporte la conscience. C’est dire que je touche la réalité du mouvement quand il m’apparaît, inté­rieurement à moi, comme un changement d’état ou de qualité. Mais alors, comment n’en serait-il pas de même quand je perçois des changements de qualité dans les choses ? Le son diffère absolument du silence, comme aussi un son d’un autre son. Entre la lumière et l’obscurité, entre des couleurs, entre des nuances, la différence est absolue. Le passage de l’une à l’autre est, lui aussi, un phénomène absolument réel. Je tiens donc les deux extrémités de la chaîne, les sensations musculaires en moi, les qualités sensibles de la matière hors de moi, et pas plus dans un cas que dans l’autre je ne saisis le mouve­ment, si mouvement il y a, comme une simple relation : c’est un absolu. — Entre ces deux extrémités viennent se placer les mouvements