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autres. Mais cela peut-il s’imaginer ou même se concevoir ? Un lieu ne se distin­guerait absolument d’un autre lieu que par sa qualité, ou par son rapport à l’ensemble de l’espace : de sorte que l’espace deviendrait, dans cette hypo­thèse, ou composé de parties hétérogènes ou fini. Mais à un espace fini nous donnerions un autre espace pour barrière, et sous des parties hétérogènes d’espace nous imaginerions un espace homogène comme support : dans les deux cas, c’est à l’espace homogène et indéfini que nous reviendrions néces­sairement. Nous ne pouvons donc nous empêcher ni de tenir tout lieu pour relatif, ni de croire à un mouvement absolu.

Dira-t-on alors que le mouvement réel se distingue du mouvement relatif en ce qu’il a une cause réelle, en ce qu’il émane d’une force ? Mais il faudrait s’entendre sur le sens de ce dernier mot. Dans les sciences de la nature, la force n’est qu’une fonction de la masse et de la vitesse ; elle se mesure à l’accélération ; on ne la connaît, on ne l’évalue que par les mouvements qu’elle est censée produire dans l’espace. Solidaire de ces mouvements, elle en parta­ge la relativité. Aussi les physiciens qui cherchent le principe du mouvement absolu dans la force ainsi définie sont-ils ramenés, par la logique de leur système, à l’hypothèse d’un espace absolu qu’ils voulaient éviter d’abord[1]. Il faudra donc se rejeter sur le sens métaphysique du mot, et étayer le mouve­ment aperçu dans l’espace sur des causes profondes, analogues à celles que notre conscience croit saisir dans le sentiment de l’effort. Mais le sentiment de l’effort est-il bien celui d’une cause profonde ? Et des analyses décisives n’ont-elles pas montré qu’il n’y a rien

  1. En particulier Newton.