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repos, qui est le mouvement même. Mais ma vue perçoit le mouvement sous forme d’une ligne AB qui se parcourt, et cette ligne, comme tout espace, est indéfiniment décomposable. Il semble donc d’abord que je puisse, comme je voudrai, tenir ce mouvement pour multiple ou pour indivisible, selon que je l’envisage dans l’espace ou dans le temps, comme une image qui se dessine hors de moi ou comme un acte que j’accomplis moi-même.

Toutefois, en écartant toute idée préconçue, je m’aperçois bien vite que je n’ai pas le choix, que ma vue elle-même saisit le mouvement de A en B comme un tout indivisible, et que si elle divise quelque chose, c’est la ligne supposée parcourue et non pas le mouvement qui la parcourt. Il est bien vrai que ma main ne va pas de A en B sans traverser les positions intermédiaires, et que ces points intermédiaires ressemblent à des étapes, en nombre aussi grand qu’on voudra, disposées tout le long de la route ; mais il y a entre les divisions ainsi marquées et des étapes proprement dites cette différence capitale qu’à une étape on s’arrête, au lieu qu’ici le mobile passe. Or le passage est un mouvement, et l’arrêt une immobilité. L’arrêt interrompt le mouvement ; le passage ne fait qu’un avec le mouvement même. Quand je vois le mobile passer en un point, je conçois sans doute qu’il puisse s’y arrêter ; et lors même qu’il ne s’y arrête pas, j’incline à considérer son passage comme un repos infiniment court, parce qu’il me faut au moins le temps d’y penser ; mais c’est mon imagination seule qui se repose ici, et le rôle du mobile est au contraire de se mouvoir. Tout point de l’espace m’apparaissant nécessairement comme fixe, j’ai bien de la peine à ne pas attribuer au mobile lui-même l’immobilité du