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les uns dans les autres, et c’est là que nous devons faire effort pour nous replacer par la pensée dans le cas excep­tionnel et unique où nous spéculons sur la nature intime de l’action, c’est-à-dire dans la théorie de la liberté.

Une méthode de ce genre est-elle applicable au problème de la matière ? La question est de savoir si, dans cette « diversité des phénomènes » dont Kant a parlé, la masse confuse à tendance extensive pourrait être saisie en deçà de l’espace homogène sur lequel elle s’applique et par l’intermédiaire duquel nous la subdivisons, — de même que notre vie intérieure peut se déta­cher du temps indéfini et vide pour redevenir durée pure. Certes, l’entreprise serait chimérique de vouloir s’affranchir des conditions fondamentales de la perception extérieure. Mais la question est de savoir si certaines conditions, que nous tenons d’ordinaire pour fondamentales, ne concerneraient pas l’usage à faire des choses, le parti pratique à en tirer, bien plus que la connaissance pure que nous en pouvons avoir. Plus particulièrement, en ce qui regarde l’étendue concrète, continue, diversifiée et en même temps organisée, on peut contester qu’elle soit solidaire de l’espace amorphe et inerte qui la sous-tend, espace que nous divisons indéfiniment, où nous découpons des figures arbi­trairement, et où le mouvement lui-même, comme nous le disions ailleurs, ne peut apparaître que comme une multiplicité de positions instantanées, puisque rien n’y saurait assurer la cohésion du passé et du présent. On pourrait donc, dans une certaine mesure, se dégager de l’espace sans sortir de l’étendue, et il y aurait bien là un retour à l’immédiat, puisque nous percevons pour tout de bon l’étendue, tandis que nous ne faisons que concevoir l’espace à la manière d’un schè