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une force, — forme extérieure où s’insérerait l’agrégat, force indéterminée et pour ainsi dire physique qui assurerait la cohésion des éléments. De là les deux points de vue opposés sur la question de la liberté : pour le déterminisme, l’acte est la résultante d’une composition mécanique des éléments entre eux ; pour ses adversaires, s’ils étaient rigoureusement d’accord avec leur principe, la décision libre devrait être un fiat arbitraire, une véritable création ex nihilo. — Nous avons pensé qu’il y aurait un troisième parti à pren­dre. Ce serait de nous replacer dans la durée pure, dont l’écoulement est conti­nu, et où l’on passe, par gradations insensibles, d’un état à l’autre : continuité réellement vécue, mais artificiellement décomposée pour la plus grande commodité de la connaissance usuelle. Alors nous avons cru voir l’action sor­tir de ses antécédents par une évolution sui generis, de telle sorte qu’on retrou­ve dans cette action les antécédents qui l’expliquent, et qu’elle y ajoute pourtant quelque chose d’absolument nouveau, étant en progrès sur eux comme le fruit sur la fleur. La liberté n’est nullement ramenée par là, comme on l’a dit, à la spontanéité sensible. Tout au plus en serait-il ainsi chez l’ani­mal, dont la vie psychologique est surtout affective. Mais chez l’homme, être pensant, l’acte libre peut s’appeler une synthèse de sentiments et d’idées, et l’évolution qui y conduit une évolution raisonnable. L’artifice de cette méthode consiste simplement, en somme, à distinguer le point de vue de la connais­sance usuelle ou utile et celui de la connaissance vraie. La durée où nous nous regardons agir, et où il est utile que nous nous regardions, est une durée dont les éléments se dissocient et se juxtaposent ; mais la durée où nous agissons est une durée où nos états se fondent