Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/197

Cette page n’a pas encore été corrigée

galement éloigné de la généralité pleinement conçue et de l’individualité nettement perçue, les engen­dre l’une et l’autre par voie de dissociation. L’analyse réfléchie l’épure en idée générale ; la mémoire discriminative le solidifie en perception de l’individuel.

Mais c’est ce qui paraîtra clairement si l’on se reporte aux origines tout utilitaires de notre perception des choses. Ce qui nous intéresse dans une situation donnée, ce que nous y devons saisir d’abord, c’est le côté par où elle peut répondre à une tendance ou à un besoin : or, le besoin va droit à la res­semblance ou à la qualité, et n’a que faire des différences individuelles. À ce discernement de l’utile doit se borner d’ordinaire la perception des animaux. C’est l’herbe en général qui attire l’herbivore : la couleur et l’odeur de l’herbe, senties et subies comme des forces (nous n’allons pas jusqu’à dire : pensées comme des qualités ou des genres), sont les seules données immédiates de sa perception extérieure. Sur ce fond de généralité ou de ressemblance sa mémoi­re pourra faire valoir les contrastes d’où naîtront les différenciations ; il distinguera alors un paysage d’un autre paysage, un champ d’un autre champ ; mais c’est là, nous le répétons, le superflu de la perception et non pas le nécessaire. Dira-t-on que nous ne faisons que reculer le problème, que nous rejetons simplement dans l’inconscient l’opération par laquelle se dégagent les ressemblances et se constituent les genres ? Mais nous ne rejetons rien dans l’inconscient, par la raison fort simple que ce n’est pas, à notre avis, un effort de nature psychologique qui dégage ici la ressemblance : cette ressemblance agit objectivement comme une force, et provoque des réactions identiques en vertu de la loi toute physique qui veut que les mê