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abord ? Nous tournons donc bien réellement dans un cercle, le nominalisme nous conduisant au conceptualisme, et le conceptualisme nous ramenant au nominalisme. La généralisation ne peut se faire que par une extraction de qualités communes ; mais les qualités, pour apparaître communes, ont déjà dû subir un travail de généralisation.

En approfondissant maintenant ces deux théories adverses, on leur décou­vrirait un postulat commun : elles supposent, l’une et l’autre, que nous partons de la perception d’objets individuels. La première compose le genre par une énumération ; la seconde le dégage par une analyse ; mais c’est sur des indivi­dus, considérés comme autant de réalités données à l’intuition immédiate, que portent l’analyse et l’énumération. Voilà le postulat. En dépit de son évidence apparente, il n’est ni vraisemblable ni conforme aux faits.

A priori, en effet, il semble bien que la distinction nette des objets individuels soit un luxe de la perception, de même que la représentation claire des idées générales est un raffinement de l’intelligence. La conception parfaite des genres est sans doute le propre de la pensée humaine ; elle exige un effort de réflexion, par lequel nous effaçons d’une représentation les particularités de temps et de lieu. Mais la réflexion sur ces particularités, réflexion sans laquel­le l’individualité des objets nous échapperait, suppose une faculté de remar­quer les différences, et par là même une mémoire des images, qui est certaine­ment le privilège de l’homme et des animaux supérieurs. Il semble donc bien que nous ne débutions ni par la perception de l’individu ni par la conception du genre, mais par une connaissance intermédiaire, par un sentiment confus de qualité marquante ou de ressemblance : ce sentiment, é