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sente aux mécanismes sensori-moteurs tous les souvenirs capables de les guider dans leur tâche et de diriger la réaction motrice dans le sens suggéré par les leçons de l’expérience : en cela consistent précisément les associations par contiguïté et par similitude. Mais d’autre part les appareils sensori-moteurs fournissent aux souvenirs impuissants, c’est-à-dire inconscients, le moyen de prendre un corps, de se matérialiser, enfin de devenir présents. Il faut en effet, pour qu’un souvenir reparaisse à la con­science, qu’il descende des hauteurs de la mémoire pure jusqu’au point précis où s’accomplit l’action. En d’autres termes, c’est du présent que part l’appel auquel le souvenir répond, et c’est aux éléments sensori-moteurs de l’action présente que le souvenir emprunte la chaleur qui donne la vie.

N’est-ce pas à la solidité de cet accord, à la précision avec laquelle ces deux mémoires complémentaires s’insèrent l’une dans l’autre, que nous recon­naissons les esprits « bien équilibrés », c’est-à-dire, au fond, les hommes parfaitement adaptés à la vie ? Ce qui caractérise l’homme d’action, c’est la promptitude avec laquelle il appelle au secours d’une situation donnée tous les souvenirs qui s’y rapportent ; mais c’est aussi la barrière insurmontable que rencontrent chez lui, en se présentant au seuil de la conscience, les souvenirs inutiles ou indifférents. Vivre dans le présent tout pur, répondre à une excita­tion par une réaction immédiate qui la prolonge, est le propre d’un animal inférieur : l’homme qui procède ainsi est un impulsif. Mais celui-là n’est guère mieux adapté à l’action qui vit dans le passé pour le plaisir d’y vivre, et chez qui les souvenirs émergent à la lumière de la conscience sans profit pour la situation actuelle : ce n’est plus un impulsif,