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ne lui restituerai son caractère de souvenir qu’en me reportant à l’opération par laquelle je l’ai évoqué, virtuel, du fond de mon passé. C’est justement parce que je l’aurai rendu actif qu’il sera devenu actuel, c’est-à-dire sensation capable de provoquer des mouvements. Au contraire, la plupart des psycho­logues ne voient dans le souvenir pur qu’une perception plus faible, un ensem­ble de sensations naissantes. Ayant ainsi effacé, par avance, toute différence de nature entre la sensation et le souvenir, ils sont conduits par la logique de leur hypothèse à matérialiser le souvenir et à idéaliser la sensation. S’agit-il du souvenir ? Ils ne l’aperçoivent que sous forme d’image, c’est-à-dire déjà incarné dans des sensations naissantes. Lui ayant transporté ainsi l’essentiel de la sensation, et ne voulant pas voir, dans l’idéalité de ce souvenir, quelque cho­se de distinct, qui tranche sur la sensation même, ils sont obligés, quand ils reviennent à la sensation pure, de lui laisser l’idéalité qu’ils avaient conférée implicitement ainsi à la sensation naissante. Si le passé, en effet, qui par hypothèse n’agit plus, peut subsister à l’état de sensation faible, c’est donc qu’il y a des sensations impuissantes. Si le souvenir pur, qui par hypothèse n’inté­resse aucune partie déterminée du corps, est une sensation naissante, c’est donc que la sensation n’est pas essentiellement localisée en un point du corps. De là l’illusion qui consiste à voir dans la sensation un état flottant et inextensif, lequel n’acquerrait l’extension et ne se consoliderait dans le corps que par accident : illusion qui vicie profondément, comme nous l’avons vu, la théorie de la perception extérieure, et soulève bon nombre des questions pendantes entre les diverses métaphysiques de la matière. Il faut en prendre son parti : la sensation est, par essence, extensive