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souvenirs dans des centres plus ou moins éloignés. C’est alors par degrés successifs que l’idée arrive à prendre corps dans cette image particulière qui est l’image verbale. Par là, l’audition mentale peut être subordonnée à l’intégrité des divers centres et des voies qui y conduisent. Mais ces complications ne changent rien au fond des choses. Quels que soient le nombre et la nature des termes interposés, nous n’allons pas de la perception à l’idée, mais de l’idée à la perception, et le processus caractéristique de la reconnaissance n’est pas centripète, mais centrifuge.

Resterait à savoir, il est vrai, comment des excitations émanant du dedans peuvent donner naissance, par leur action sur l’écorce cérébrale ou sur d’autres centres, à des sensations. Et il est bien évident qu’il n’y a là qu’une manière commode de s’exprimer. Le souvenir pur, à mesure qu’il s’actualise, tend à provoquer dans le corps toutes les sensations correspondantes. Mais ces sensations virtuelles elles-mêmes, pour devenir réelles, doivent tendre à faire agir le corps, à lui imprimer les mouvements et attitudes dont elles sont l’antécédent habituel. Les ébranlements des centres dits sensoriels, ébranle­ments qui précèdent d’ordinaire des mouvements accomplis ou esquissés par le corps et qui ont même pour rôle normal de les préparer en les commençant, sont donc moins la cause réelle de la sensation que la marque de sa puissance et la condition de son efficacité. Le progrès par lequel l’image virtuelle se réalise n’est pas autre chose que la série d’étapes par lesquelles cette image arrive à obtenir du corps des démarches utiles. L’excitation des centres dits sensoriels est la dernière de ces étapes ; c’est le prélude à une réaction motrice, le commencement d’une action dans l’espace.