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mettait l’observation clinique aux prises avec l’analyse psychologique et qu’il résultait de là, pour la doctrine de la localisation des souvenirs, une antinomie grave. Nous sommes tenus de chercher ce que deviennent les faits connus, quand on cesse de considérer le cerveau comme dépositaire de souvenirs[1].

Admettons un instant, pour simplifier l’exposition, que des excitations venues du dehors donnent naissance, soit dans l’écorce cérébrale soit dans d’autres centres, à des sensations élémentaires. Nous n’avons toujours là que des sensations élémentaires. Or, en fait, chaque perception enveloppe un nombre considérable de ces sensations, toutes coexistantes, et disposées dans un ordre déterminé. D’où vient cet ordre, et qu’est-ce qui assure cette coexis­tence ? Dans le cas d’un objet matériel présent, la réponse n’est pas douteuse : ordre et coexistence viennent d’un organe des sens, impressionné

  1. La théorie que nous esquissons Ici ressemble d’ailleurs, par un côté, à celle de Wundt. Signalons tout de suite le point commun et la différence essentielle. Avec Wundt nous estimons que la perception distincte implique une action centrifuge, et par là nous sommes conduits à supposer avec lui (quoique dans un sens un peu différent) que les centres dits imaginatifs sont plutôt des centres de groupement des impressions senso­rielles. Mais tandis que, d’après Wundt, l’action centrifuge consiste dans une « stimulation aperceptive » dont la nature n’est définissable que d’une manière générale et qui paraît correspondre à ce qu’on appelle d’ordinaire la fixation de l’attention, nous prétendons que cette action centrifuge revêt dans chaque cas une forme distincte, celle même de l’ « objet virtuel » qui tend de degré en degré à s’actualiser. De là une différence Importante dans la conception du rôle des centres. Wundt est conduit à poser : 1º un organe général d’aper­ception, occupant le lobe frontal ; 2º des centres particuliers qui, incapables sans doute d’emmagasiner des Images, conservent cependant des tendances ou dispositions à les reproduire. Nous soutenons au contraire qu’il ne peut rien rester d’une image dans la substance cérébrale, et qu’il ne saurait exister non plus un centre d’aperception, mais qu’il y a simplement, dans cette substance, des organes de perception virtuelle, Influencés par l’intention du souvenir, comme Il y a à la périphérie des organes de perception réelle, influencés par l’action de l’objet. Voir la Psychologie physiologique, t. I, pp. 242-252.)