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d’un certain genre peut nous échapper alors que la faculté correspondante de percevoir demeure intacte. La cécité psychique n’empêche pas de voir, pas plus que la surdité psychique d’entendre. Plus particulièrement, en ce qui concerne la perte des souvenirs auditifs de mots, — la seule qui nous occupe, — il y a des faits nom­breux qui la montrent régulièrement associée à une lésion destructive de la première et de la deuxième circonvolutions temporo-sphénoïdales gauches[1], sans qu’on connaisse un seul cas où cette lésion ait provoqué la surdité proprement dite : on a même pu la produire expérimentalement sur le singe sans déterminer chez lui autre chose que de la surdité psychique, c’est-à-dire une impuissance à interpréter les sous qu’il continue d’entendre[2]. Il faudra donc assigner à la perception et au souvenir des éléments nerveux distincts. Mais cette hypothèse aura alors contre elle l’observation psychologique la plus élémentaire ; car nous voyons qu’un souvenir, à mesure qu’il devient plus clair et plus intense, tend à se faire perception, sans qu’il y ait de moment précis où une transformation radicale s’opère et où l’on puisse dire, par conséquent, qu’il se transporte des éléments imaginatifs aux éléments sensoriels. Ainsi ces deux hypothèses contraires, la première qui identifie les éléments de perception avec les éléments de mémoire, la seconde qui les distingue, sont de telle nature que chacune des deux renvoie à l’autre sans qu’on puisse se tenir à aucune d’elles.

Comment

  1. Voir l’énumération des cas les plus nets dans l’article de SHAW, The sensory side of Aphasia (Brain, 1893, p. 501). —Plusieurs auteurs limitent d’ailleurs à la première circon­volution la lésion caractéristique de la perte des images verbales auditives. V. en particulier BALLET, Le langage intérieur, p. 153.
  2. LUCANI, cité par J. SOURY, Les fonctions du cerveau, Paris, 1892, p. 211.