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nous, les purs souvenirs, appelés du fond de la mémoire, se développent en souvenirs-images de plus en plus capables de s’insérer dans le schème moteur. À mesure que ces souvenirs prennent la forme d’une représentation plus complète, plus concrète et plus consciente, ils tendent davantage à se confondre avec la perception qui les attire ou dont ils adoptent le cadre. Donc il n’y a pas, il ne peut y avoir dans le cerveau une région où les souvenirs se figent et s’accumulent. La prétendue destruction des souvenirs par les lésions cérébrales n’est qu’une interruption du progrès conti­nu par lequel le souvenir s’actualise. Et par conséquent, si l’on veut à toute force localiser les souvenirs auditifs des mots, par exemple, en un point déterminé du cerveau, on sera amené par des raisons d’égale valeur à distin­guer ce centre imaginatif du centre perceptif ou à confondre les deux centres ensemble. Or, c’est précisément ce que l’expérience vérifie.

Notons en effet la singulière contradiction où cette théorie est conduite par l’analyse psychologique, d’une part, par les faits pathologiques de l’autre. D’un côté, semble-t-il, si la perception une fois accomplie demeure dans le cerveau à l’état de souvenir emmagasiné, ce ne peut être que comme une disposition acquise des éléments mêmes que la perception a impressionnés : comment, à quel moment précis, irait-elle en chercher d’autres ? Et c’est en effet à cette solution naturelle que s’arrêtent Bain[1] et Ribot[2]. Mais d’autre part la patho­logie est là, qui nous avertit que la totalité des souvenirs

  1. BAIN, Les sens et l’intelligence, p. 304. — Cf. SPENCER, Principes de psychologie, t.1, p. 483.
  2. RIBOT, Les maladies de la mémoire, Paris, 1881, p. 10.