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abord confondus. Or, l’expérience était loin de donner raison ici à la théorie, puisqu’elle montrait presque toujours, partiellement et diversement réunies, plusieurs de ces lésions psychologiques simples que la théorie isolait. La complication des théories de l’aphasie se détruisant ainsi elle-même, faut-il s’étonner de voir la pathologie actuelle, de plus en plus sceptique à l’égard des schémas, revenir purement et simplement à la description des faits[1] ?

Mais comment pouvait-il en être autrement ? On croirait, à entendre certains théoriciens de l’aphasie sensorielle, qu’ils n’ont jamais considéré de près la structure d’une phrase. Ils raisonnent comme si une phrase se compo­sait de noms qui vont évoquer des images de choses. Que deviennent ces diverses parties du discours dont le rôle est justement d’établir entre les images des rapports et des nuances de tout genre ? Dira-t-on que chacun de ces mots exprime et évoque lui-même une image matérielle, plus confuse sans doute, mais déterminée ? Qu’on songe alors à la multitude de rapports diffé­rents que le même mot peut exprimer selon la place qu’il occupe et les termes qu’il unit ! Alléguerez-vous que ce sont là des raffinements d’une langue déjà très perfectionnée, et qu’un langage est possible avec des noms concrets destinés à faire surgir des images de choses ? Je l’accorde sans peine ; mais plus la langue que vous me parlerez sera primitive et dépourvue de termes exprimant des rapports, plus vous devrez faire de place à l’activité de mon esprit, puisque vous le forcez à rétablir les rapports que vous n’exprimez pas : c’est dire que vous abandonnerez de plus en plus l’hypothè

  1. SOMMER, Communication à un congrès d’aliénistes. (Arch. de Neurologie, t. XXIV, 1892.)