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tation, à cause de l’invincible tendance qui nous porte à penser, en toute occasion, des choses plutôt que des progrès. Nous avons dit que nous partions de l’idée, et que nous la développions en souvenirs-images auditifs, capables de s’insérer dans le schème moteur pour recouvrir les sons entendus. Il y a là un progrès continu par lequel la nébulosité de l’idée se condense en images auditives distinctes, qui, fluides encore, vont se solidifier enfin dans leur coalescence avec les sons matériellement perçus. À aucun moment on ne peut dire avec précision que l’idée ou que l’image-souvenir finit, que l’image-souvenir ou que la sensation commence. Et, de fait, où est la ligne de démarcation entre la confusion des sons perçus en masse et la clarté que les images auditives remé­morées y ajoutent, entre la discontinuité de ces images remémorées elles-mêmes et la continuité de l’idée originelle qu’elles dissocient et réfractent en mots distincts ? Mais la pensée scientifique, analysant cette série ininterrom­pue de changements et cédant à un irrésistible besoin de figuration symboli­que, arrête et solidifie en choses achevées les principales phases de cette évolution. Elle érige les sons bruts entendus en mots séparés et complets, puis les images auditives remémorées en entités indépendantes de l’idée qu’elles développent : ces trois termes, perception brute, image auditive et idée, vont ainsi former des touts distincts dont chacun se suffira à lui-même. Et tandis que, pour s’en tenir à l’expérience pure, c’est de l’idée qu’il eût fallu nécessai­rement partir puisque les souvenirs auditifs lui doivent leur soudure et que les sons bruts à leur tour ne se complètent que par les souvenirs, on ne voit pas d’inconvénient, quand on a arbitrairement complété le son brut et arbitrai­rement aussi soudé ensemble les souvenirs, à