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ordre méthodique et grammatical, celui-là même qu’indique la loi de Ribot : les noms propres s’éclipsent d’abord, puis les noms communs, enfin les verbes[1]. Voilà les différences extérieures. Voici maintenant, nous semble-t-il, la différence interne. Dans les amnésies du premier genre, qui sont presque toutes consécutives à un choc violent, nous inclinerions à croire que les souvenirs apparemment abolis sont réellement présents, et non seulement présents, mais agissants. Pour prendre un exemple souvent emprunté à Winslow[2] celui du sujet qui avait oublié la lettre F, et la lettre F seulement, nous nous demandons si l’on peut faire abstraction d’une lettre déterminée partout où on la rencontre, la détacher par conséquent des mots parlés ou écrits avec lesquels elle fait corps, si on ne l’a pas d’abord implicitement reconnue. Dans un autre cas cité par le même auteur[3], le sujet avait oublié des langues qu’il avait apprises et aussi des poèmes qu’il avait écrits. S’étant remis à composer, il refit à peu près les mêmes vers. On assiste d’ailleurs souvent, en pareil cas, à une restauration intégrale des souvenirs disparus. Sans vouloir nous prononcer trop catégoriquement sur une question de ce genre, nous ne pouvons nous empêcher de trouver une analogie entre ces phénomènes et les scissions de la personnalité que M. Pierre Janet a décrites[4] : tel d’entre eux ressemble étonnamment à ces « hallucinations néga­tives » et « suggestions avec point de repère » qu’

  1. RIBOT, Les maladies de la mémoire, Paris, 1881, p. 131 et suivantes. (Félix Alcan, éditeur.)
  2. WINSLOW, On obscure Diseases of the Brain, London, 1861.
  3. Ibid., p. 372.
  4. Pierre JANET, État mental des hystériques, Paris, 1894, II, p. 263 et suiv.- Cf., du même auteur, L’automatisme psychologique, Paris, 1889.