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qui évoqueraient par contiguïté des souvenirs auditifs, et les souvenirs auditifs des idées. Puis il y a les lésions cérébrales, qui semblent entraîner la disparition des souvenirs : plus particulièrement, dans le cas qui nous occupe, on pourra invoquer les lésions caractéristiques de la surdité verbale corticale. Ainsi l’observation psychologique et les faits clini­ques semblent s’accorder. Il y aurait, sous forme de modifications physico-chimiques des cellules par exemple, des représentations auditives assoupies dans l’écorce : un ébranlement venu du dehors les réveille, et par nu processus intra-cérébral, peut-être par des mouvements transcorticaux qui vont chercher les représentations complémentaires, elles évoquent des idées.

Qu’on réfléchisse pourtant aux étranges conséquences d’une hypothèse de ce genre. L’image auditive d’un mot n’est pas un objet aux contours définiti­vement arrêtés, car le même mot, prononcé par des voix différentes ou par la même voix à différentes hauteurs, donne des sous différents. Il y aura donc autant de souvenirs auditifs d’un mot qu’il y a de hauteurs de son et de timbres de voix. Toutes ces images s’entasseront-elles dans le cerveau, ou, si le cer­veau choisit, quelle est celle qu’il préférera ? Admettons pourtant qu’il ait ses raisons pour en choisir une : comment ce même mot, prononcé par une nouvelle personne, ira-t-il rejoindre un souvenir dont il diffère ? Notons en effet que ce souvenir est, par hypothèse, chose inerte et passive, incapable par conséquent de saisir sous des différences extérieures une similitude interne. On nous parle de l’image auditive du mot comme si c’était une entité ou un genre : ce genre existe, sans aucun doute, pour une mémoire active qui sché­matise la ressemblance