Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée

difficulté ne paraît pas avoir suffisamment frappé les théoriciens de l’aphasie sensorielle. Dans la surdité verbale, en effet, le malade se trouve à l’égard de sa propre langue dans la même situation où nous nous trouvons nous-mêmes quand nous entendons parler une langue inconnue. Il a généra­lement conservé intact le sens de l’ouïe, mais il ne comprend rien aux paroles qu’il entend prononcer, et souvent même n’arrive pas à les distinguer. On croit avoir suffisamment expliqué cet état en disant que les souvenirs auditifs des mots sont détruits dans l’écorce, ou qu’une lésion tantôt transcorticale, tantôt sous-corticale, empêche le souvenir auditif d’évoquer l’idée, ou la perception de rejoindre le souvenir. Mais, pour le dernier cas au moins, la question psychologique demeure intacte : quel est le processus conscient que la lésion a aboli, et par quel intermédiaire s’opère en général le discernement des mots et des syllabes, donnés d’abord à l’oreille comme une continuité sonore ?

La difficulté serait insurmontable, si nous n’avions réellement affaire qu’à des impressions auditives d’un côté, à des souvenirs auditifs de l’autre. Il n’en serait pas de même si les impressions auditives organisaient des mouvements naissants, capables de scander la phrase écoutée et d’en marquer les princi­pales articulations. Ces mouvements automatiques d’accompagnement inté­rieur, d’abord confus et mal coordonnés, se dégageraient alors de mieux en mieux en se répétant ; ils finiraient par dessiner une figure simplifiée, où la personne qui écoute retrouverait, dans leurs grandes lignes et leurs directions principales, les mouvements mêmes de la personne qui parle. Ainsi se dérou­lerait dans notre conscience, sous forme de sensations musculaires naissantes, ce que