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de la rêverie ou du rêve ; ce que nous appelons agir, c’est précisément obtenir que cette mémoire se contracte ou plutôt s’affile de plus en plus, jusqu’à ne présenter que le tranchant de sa lame à l’expérience où elle pénétrera. Au fond, c’est pour n’avoir pas démêlé ici l’élément moteur de la mémoire qu’on a tantôt méconnu, tantôt exagéré ce qu’il y a d’automatique dans l’évocation des souve­nirs. À notre sens, un appel est lancé à notre activité au moment précis où notre perception s’est décomposée automatiquement en mouvements d’imita­tion : une esquisse nous est alors fournie, dont nous recréons le détail et la couleur en y projetant des souvenirs plus ou moins lointains. Mais ce n’est point ainsi qu’on envisage ordinairement les choses. Tantôt on confère à l’esprit une autonomie absolue ; on lui prête le pouvoir de travailler sur les objets présents ou absents comme il lui plaît ; et l’on ne comprend plus alors les troubles profonds de l’attention et de la mémoire qui peuvent suivre la moindre perturbation de l’équilibre sensori-moteur. Tantôt, au contraire, on fait des processus imaginatifs autant d’effets mécaniques de la perception présente ; on veut que, par un progrès nécessaire et uniforme, l’objet fasse surgir des sensations, et les sensations des idées qui s’y accrochent : alors, comme il n’y a pas de raison pour que le phénomène, mécanique au début, change de nature en route, on aboutit à l’hypothèse d’un cerveau où pourraient se déposer, sommeiller et se réveiller des états intellectuels. Dans un cas comme dans l’autre, on méconnaît la fonction véritable du corps, et comme on n’a pas vu en quoi l’intervention d’un mécanisme est nécessaire, on ne sait pas davantage, quand une fois on y a fait appel, où l’on doit l’arrêter.

Mais