Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée

sensations, les sensations faisant surgir devant elles des idées, chaque idée ébranlant de proche en proche des points plus reculés de la masse intellectuelle. Il y aurait donc là une marche en ligne droite, par laquelle l’esprit s’éloignerait de plus en plus de l’objet pour n’y plus revenir. Nous prétendons au contraire que la perception réfléchie est un circuit, où tous les éléments, y compris l’objet perçu lui-même, se tiennent en état de tension mutuelle comme dans un circuit électrique, de sorte qu’aucun ébranlement parti de l’objet ne peut s’arrêter en route dans les profondeurs de l’esprit : il doit toujours faire retour à l’objet lui-même. Qu’on ne voie pas ici une simple question de mots. Il s’agit de deux conceptions radicalement diffé­rentes du travail intellectuel. D’après la première, les choses se passent méca­niquement, et par une série tout accidentelle d’additions successives. À chaque moment d’une perception attentive, par exemple, des éléments nouveaux, émanant d’une région plus profonde de l’esprit, pourraient se joindre aux éléments anciens sans créer une perturbation générale, sans exiger une trans­formation du système. Dans la seconde, au contraire, un acte d’attention impli­que une telle solidarité entre l’esprit et son objet, c’est un circuit si bien fermé, qu’on ne saurait passer à des états de concentration supérieure sans créer de toutes pièces autant de circuits nouveaux qui enveloppent le premier, et qui n’ont de commun entre eux que l’objet aperçu. De ces différents cercles de la mémoire, que nous étudierons en détail plus tard, le plus étroit A est le plus voisin de la perception immédiate. Il ne contient que l’objet 0 lui-même avec l’image consécutive qui revient le couvrir. Derrière lui les cercles B, C, D, de plus en plus larges, répondent à des efforts