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mouvements qui provoquent la reconnaissance machinale empêchent par un côté, et de l’autre favorisent la reconnaissance par images. En principe, le présent déplace le passé. Mais d’autre part, justement parce que la suppression des anciennes images tient à leur inhibition par l’attitude présente, celles dont la forme pourrait s’encadrer dans cette attitude rencontre­ront un moins grand obstacle que les autres ; et si, dès lors, quelqu’une d’entre elles peut franchir l’obstacle, c’est l’image semblable à la perception présente qui le franchira.

Si notre analyse est exacte, les maladies de la reconnaissance affecteront deux formes profondément différentes et l’on constatera deux espèces de cécité psychique. Tantôt, en effet, ce sont les images anciennes qui ne pour­ront plus être évoquées, tantôt c’est seulement le lien entre la perception et les mouvements concomitants habituels qui sera rompu, la perception provoquant des mouvements diffus comme si elle était nouvelle. Les faits vérifient-ils cette hypothèse ?

Il ne peut y avoir de contestation sur le premier point. L’abolition appa­rente des souvenirs visuels dans la cécité psychique est un fait si commun qu’il a pu servir, pendant un temps, à définir cette affection. Nous aurons à nous demander jusqu’à quel point et dans quel sens des souvenirs peuvent réelle­ment s’évanouir. Ce qui nous intéresse pour le moment, c’est que des cas se présentent où la reconnaissance n’a plus lieu, sans que la mémoire visuelle soit pratiquement abolie. S’agit-il bien alors, comme nous le prétendons, d’une simple perturbation des habitudes motrices ou tout au moins d’une interruption du lien qui les unit aux perceptions sensibles ? Aucun observateur ne s’étant posé une question de ce genre,