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influence des perceptions de mieux en mieux analysées par le corps, notre vie psycho­logique antérieure est là : elle se survit, — nous essaierons de le prouver, — avec tout le détail de ses événements localisés dans le temps. Sans cesse inhibée par la conscience pratique et utile du moment présent, c’est-à-dire par l’équilibre sensori-moteur d’un système nerveux tendu entre la perception et l’action, cette mémoire attend simplement qu’une fissure se déclare entre l’impression actuelle et le mouvement concomitant pour y faire passer ses images. D’ordi­naire, pour remonter le cours de notre passé et découvrir l’image-souvenir connue, localisée, personnelle, qui se rapporterait au présent, un effort est nécessaire, par lequel nous nous dégageons de l’action où notre perception nous incline : celle-ci nous pousserait vers l’avenir ; il faut que nous reculions dans le passé. En ce sens, le mouvement écarterait plutôt l’image. Toutefois, par un certain côté, il contribue à la préparer. Car si l’ensemble de nos images passées nous demeure présent, encore faut-il que la représentation analogue à la perception actuelle soit choisie parmi toutes les représentations possibles. Les mouvements accomplis ou simplement naissants préparent cette sélection, nu tout au moins délimitent le champ des images où nous irons cueillir. Nous sommes, de par la constitution de notre système nerveux, des êtres chez qui des impressions présentes se prolongent en mouvements appropriés : si d’an­ciennes images trouvent aussi bien à se prolonger en ces mouvements, elles profitent de l’occasion pour se glisser dans la perception actuelle et s’en faire adopter. Elles apparaissent alors, en fait, à notre conscience, alors qu’elles sembleraient devoir, en droit, rester couvertes par l’état présent. On pourrait donc dire que les