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Il y a d’abord, à la limite, une reconnaissance dans l’instantané, une recon­naissance dont le corps tout seul est capable, sans qu’aucun souvenir explicite intervienne. Elle consiste dans une action, et non dans une représentation. Je me promène dans une ville, par exemple, pour la première fois. À chaque tournant de rue, j’hésite, ne sachant où je vais. Je suis dans l’incertitude, et j’entends par là que des alternatives se posent à mon corps, que mon mouve­ment est discontinu dans son ensemble, qu’il n’y a rien, dans une des attitudes, qui annonce et prépare les attitudes à venir. Plus tard, après un long séjour dans la ville, j’y circulerai machinalement, sans avoir la perception distincte des objets devant lesquels je passe. Or, entre ces deux conditions extrêmes, l’une où la perception n’a pas encore organisé les mouvements définis qui l’accompagnent, l’autre où ces mouvements concomitants sont organisés au point de rendre ma perception inutile, il y a une condition intermédiaire, où l’objet est aperçu, mais provoque des mouvements liés entre eux, continus, et qui se commandent les uns aux autres. J’ai commencé par un état où je ne distinguais que ma perception ; je finis par un état où je n’ai plus guère con­science que de mon automatisme : dans l’intervalle a pris place un état mixte, une perception soulignée par un automatisme naissant. Or, si les per­ceptions ultérieures diffèrent de la première perception en ce qu’elles acheminent le corps à une réaction machinale appropriée, si, d’autre part, ces perceptions renouvelées apparaissent à l’esprit avec cet aspect sui generis qui caractérise les perceptions familières ou reconnues, ne devons-nous pas présumer que la conscience d’un accompagnement moteur bien réglé, d’une réaction motrice organisé