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concret par lequel nous ressaisissons le passé dans le présent est la reconnaissance. C’est donc la reconnaissance que nous devons étudier.

II. De la reconnaissance en général : images-souvenirs et mouvements. — Il y a deux manières habituelles d’expliquer le sentiment du « déjà vu » . Pour les uns, reconnaître une perception présente consisterait à l’insérer par la pensée dans un entourage ancien. Je rencontre une personne pour la première fois : je la perçois simplement. Si je la retrouve, je la reconnais, en ce sens que les circonstances concomitantes de la perception primitive, me revenant à l’esprit, dessinent autour de l’image actuelle un cadre qui n’est pas le cadre actuellement aperçu. Reconnaître serait donc associer à une perception pré­sente les images données jadis en contiguïté avec elle[1]. Mais, comme on l’a fait observer avec raison[2] une perception renouvelée ne peut suggérer les circonstances concomitantes de la perception primitive que si celle-ci est évoquée d’abord par l’état actuel qui lui ressemble. Soit A la perception pre­mière ; les circonstances concomitantes B, C, D y restent associées par contiguïté. Si j’appelle A, la même perception renouvelée, comme ce n’est pas à A mais à A que sont liés les termes B, C, D, il faut bien, pour évoquer les termes B, C, D, qu’une association par ressemblance fasse surgir A d’abord. En vain on soutiendra que A, est identique à A. Les deux termes, quoique semblables, restent numériquement

  1. Voir l’exposé systématique de cette thèse, avec expériences à l’appui, dans les articles de LEHMANNN, Ueber Wiedererkennen (Philos. Studien de WUNDT, t. v, p. 96 et suiv., et t. VII, p. 169 et suiv.).
  2. PILLON, La formation des idées abstraites et générales (Crit. Philos., 1885, t. 1, p. 208 et suiv.). — Cf. WARD, Assimilation and Association (Mind, juillet 1893 et octobre 1894).