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vie. Et un être vivant qui se contenterait de vivre n’aurait pas besoin d’autre chose. Mais en même temps que se poursuit ce processus de perception et d’adaptation qui aboutit à l’enregistrement du passé sous forme d’habitudes motrices, la conscience, comme nous verrons, retient l’image des situations par lesquelles elle a passé tour à tour, et les aligne dans l’ordre où elles se sont succédé. À quoi serviront ces images-souvenirs ? En se conservant dans la mémoire, en se reproduisant dans la conscience, ne vont-elles pas dénaturer le caractère pratique de la vie, mêlant le rêve à la réalité ? Il en serait ainsi, sans doute, si notre conscience actuelle, conscience qui reflète justement l’exacte adaptation de notre système nerveux à la situation présente, n’écartait toutes celles des images passées qui ne peuvent se coordonner à la perception actuelle et former avec elle un ensemble utile. Tout au plus certains souvenirs confus, sans rapport à la situation présente, débordent-ils les images utilement associées, dessinant autour d’elles une frange moins éclairée qui va se perdre dans une immense zone obscure. Mais vienne un accident qui dérange l’équilibre maintenu par le cerveau entre l’excitation extérieure et la réaction motrice, relâchez pour un instant la tension des fils qui vont de la périphérie à la périphérie en passant par le centre, aussitôt les images obscurcies vont se pousser en pleine lumière : c’est cette dernière condition qui se réalise sans doute dans le sommeil où l’on rêve. Des deux mémoires que nous avons distinguées, la seconde, qui est active ou motrice, devra donc inhiber constamment la première, ou du moins n’accepter d’elle que ce qui peut éclairer et compléter utilement la situation présente : ainsi se déduisent les lois de l’association des idées. — Mais