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Pensée de la Pensée, laquelle n’est pas sans rapport avec l’Idée des Idées. Il est vrai que Platon n’identifiait pas celle-ci avec Dieu : le Démiurge du Timée, qui organise le monde, est distinct de l’Idée du Bien. Mais le Timée est un dialogue mythique ; le Démiurge n’a donc qu’une demi-existence ; et Aristote, qui renonce aux mythes, fait coïncider avec la divinité une Pensée qui est à peine, semble-t-il, un Être pensant, que nous appellerions plutôt Idée que Pensée. Par là, le Dieu d’Aristote n’a rien de commun avec ceux qu’adoraient les Grecs ; il ne ressemble guère davantage au Dieu de la Bible, de l’Évangile. Statique ou dynamique, la religion présente à la philosophie un Dieu qui soulève de tout autres problèmes. Pourtant c’est à celui-là que la métaphysique s’est attachée généralement, quitte à le parer de tel ou tel attribut incompatible avec son essence. Que ne l’a-t-elle pris à son origine ! Elle l’eût vu se former par la compression de toutes les idées en une seule. Que n’a-t-elle considéré ces idées à leur tour ! Elle eût vu qu’elles servent avant tout à préparer l’action de l’individu et de la société sur les choses, que la société les fournit pour cela à l’individu, et qu’ériger leur quintessence en divinité consiste tout simplement à diviniser le social. Que n’a-t-elle analysé, enfin, les conditions sociales de cette action individuelle, et la nature du travail que l’individu accomplit avec l’aide de la société ! Elle eût constaté que si, pour simplifier le travail et aussi pour faciliter la coopération, on commence par réduire les choses à un petit nombre de catégories ou d’idées traduisibles en mots, chacune de ces idées représente une propriété ou un état stable cueilli le long d’un devenir : le réel est mouvant, ou plutôt mouvement, et nous ne percevons que des continuités de changement ; mais pour agir sur le réel, et en particulier pour mener à bien le travail