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-Kantiens s’accordaient à poser le problème. On revient à l’immédiatement donné, ou l’on y tend.

Voilà pour la Science, et pour le reproche qu’on nous fit de la combattre. Quant à l’Intelligence, point n’était besoin de tant s’agiter pour elle. Que ne la consultait-on d’abord ? Étant intelligence et par conséquent comprenant tout, elle eût compris et dit que nous ne lui voulions que du bien. En réalité, ce qu’on défendait contre nous, c’était d’abord un rationalisme sec, fait surtout de négations, et dont nous éliminions la partie négative par le seul fait de proposer certaines solutions ; c’était ensuite, et peut-être principalement, un verbalisme qui vicie encore une bonne partie de la connaissance et que nous voulions définitivement écarter.

Qu’est-ce en effet que l’intelligence ? La manière humaine de penser. Elle nous a été donnée, comme l’instinct à l’abeille, pour diriger notre conduite. La nature nous ayant destinés à utiliser et à maîtriser la matière, l’intelligence n’évolue avec facilité que dans l’espace et ne se sent à son aise que dans l’inorganisé. Originellement, elle tend à la fabrication : elle se manifeste par une activité qui prélude à l’art mécanique et par un langage qui annonce la science, — tout le reste de la mentalité primitive étant croyance et tradition. Le développement normal de l’intelligence s’effectue donc dans la direction de la science et de la technicité. Une mécanique encore grossière suscite une mathématique encore imprécise : celle-ci, devenue scientifique et faisant alors surgir les autres sciences autour d’elle, perfectionne indéfiniment l’art mécanique. Science et art nous introduisent ainsi dans l’intimité d’une matière que l’une pense et que l’autre manipule. De ce côté, l’intelligence finirait, en principe, par toucher un absolu. Elle serait alors complètement