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le défaire. Et ce serait pour l’esprit humain une libération.

Hâtons-nous d’ailleurs de le dire : une méthode qu’on propose ne se fait comprendre que si on l’applique à un exemple. Ici l’exemple était tout trouvé. Il s’agissait de ressaisir la vie intérieure, au-dessous de la juxtaposition que nous effectuons de nos états dans un temps spatialisé. L’expérience était à la portée de tous : et ceux qui voulurent bien la faire n’eurent pas de peine à se représenter la substantialité du moi comme sa durée même. C’est, disions-nous, la continuité indivisible et indestructible d’une mélodie où le passé entre dans le présent et forme avec lui un tout indivisé, lequel reste indivisé et même indivisible en dépit de ce qui s’y ajoute à chaque instant ou plutôt grâce à ce qui s’y ajoute. Nous en avons l’intuition ; mais dès que nous en cherchons une représentation intellectuelle, nous alignons à la suite les uns des autres des états devenus distincts comme les perles d’un collier et nécessitant alors, pour les retenir ensemble, un fil qui n’est ni ceci ni cela, rien qui ressemble aux perles, rien qui ressemble à quoi que ce soit, entité vide, simple mot. L’intuition nous donne la chose dont l’intelligence ne saisit que la transposition spatiale, la traduction métaphorique.

Voilà qui est clair pour notre propre substance. Que penser de celle des choses ? Quand nous commençâmes à écrire, la physique n’avait pas encore accompli les progrès décisifs qui devaient renouveler ses idées sur la structure de la matière. Mais convaincu, dès alors, qu’immobilité et invariabilité n’étaient que des vues prises sur le mouvant et le changeant, nous ne pouvions croire que la matière, dont l’image solide avait été obtenue par des immobilisations de changement, perçues alors comme des qualités, fût composée d’éléments solides comme elle. On avait beau