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des objets les plus différents par une de ses tendances ; elle classera ces objets dans un genre et créera une idée générale, jouée plutôt que pensée. Ces généralités automatiquement extraites sont même beaucoup plus nombreuses chez l’homme, qui ajoute à l’instinct des habitudes plus ou moins capables d’imiter l’acte instinctif. Qu’on passe maintenant à l’idée générale complète, je veux dire consciente, réfléchie, créée avec intention, on trouvera le plus souvent à sa base cette extraction automatique de ressemblances qui est l’essentiel de la généralisation. En un sens, rien ne ressemble à rien, puisque tous les objets diffèrent. En un autre sens, tout ressemble à tout, puisqu’on trouvera toujours, ens’élevant assez haut dans l’échelle des généralités, quelque genre artificiel où deux objets différents, prix au hasard, pourront entrer. Mais entre la généralisation impossible et la généralisation inutile il y a celle que provoquent, en la préfigurant, des tendances, des habitudes, des gestes et des attitudes, des complexes de mouvements automatiquement accomplis ou esquissés, qui sont à l’origine de la plupart des idées générales proprement humaines. La ressemblance entre choses ou états, que nous déclarons percevoir, est avant tout la propriété, commune à ces états ou à ces choses, d’obtenir de notre corps la même réaction, de lui faire esquisser la même attitude et commencer les mêmes mouvements. Le corps extrait du milieu matériel ou moral ce qui a pu l’influencer, ce qui l’intéresse : c’est l’identité de réaction à des actions différentes qui, rejaillissant sur elles, y introduit la ressemblance, ou l’en fait sortir. Telle, une sonnette tirera des excitants les plus divers — coup de poing, souffle du vent, courant électrique — un son toujours le même, les convertira ainsi en sonneurs et les rendra par là semblables entre eux, individus constitutifs