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métaphysique, sinon ce qui avait été déjà obtenu pour la science ? Longtemps la route avait été barrée à la science positive par la prétention de reconstituer la réalité avec les concepts déposés dans le langage. Le « bas » et le « haut », le « lourd » et le « léger », le « sec » et l’« humide » étaient les éléments dont on se servait pour l’explication des phénomènes de la nature ; on pesait, dosait, combinait des concepts : c’était, en guise de physique, une chimie intellectuelle. Quand elle écarta les concepts pour regarder les choses, la science parut, elle aussi, s’insurger contre l’intelligence ; l’« intellectualisme » d’alors recomposait l’objet matériel, a priori, avec des idées élémentaires. En réalité, cette science devint plus intellectualiste que la mauvaise physique qu’elle remplaçait. Elle devait le devenir, du moment qu’elle était vraie, car matière et intelligence sont modelées l’une sur l’autre, et dans une science qui dessine la configuration exacte de la matière notre intelligence retrouve nécessairement sa propre image. La forme mathématique que la physique a prise est ainsi, tout à la fois, celle qui répond le mieux à la réalité et celle qui satisfait le plus notre entendement. Beaucoup moins commode sera la position de la métaphysique vraie. Elle aussi commencera par chasser les concepts tout faits ; elle aussi s’en remettra à l’expérience. Mais l’expérience intérieure ne trouvera nulle part, elle, un langage strictement approprié. Force lui sera bien de revenir au concept, en lui adjoignant tout au plus l’image. Mais alors il faudra qu’elle élargisse le concept, qu’elle l’assouplisse, et qu’elle annonce, par la frange colorée dont elle l’entourera, qu’il ne contient pas l’expérience tout entière. Il n’en est pas moins vrai que la métaphysique aura accompli dans son domaine la réforme que la physique moderne a faite dans le sien.