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Toute sa personne respirait cette discrétion extrême qui est la suprême distinction. Sobre de gestes, peu prodigue de mots, glissant sur l’expression de l’idée, n’appuyant jamais, parlant bas, comme s’il eût craint d’effaroucher par trop de bruit les pensées ailées qui venaient se poser autour de lui, il estimait sans doute que, pour se faire entendre loin, il n’est pas nécessaire d’enfler beaucoup la voix quand on ne donne que des sons très purs. Jamais homme ne chercha moins que celui-là à agir sur d’autres hommes. Mais jamais esprit ne fut plus naturellement, plus tranquillement, plus invinciblement rebelle à l’autorité d’autrui. Il ne donnait pas de prise. Il échappait par son immatérialité. Il était de ceux qui n’offrent même pas assez de résistance pour qu’on puisse se flatter de les voir jamais céder. M. Cousin, s’il fit quelque tentative de ce côté, s’aperçut bien vite qu’il perdait son temps et sa peine.

Aussi ces deux esprits, après un contact où se révéla leur incompatibilité, s’écartèrent-ils naturellement l’un de l’autre. Quarante ans plus tard, âgé et gravement malade, sur le point de partir pour Cannes, où il allait mourir, M. Cousin manifesta le désir d’un rapprochement : à la gare de Lyon, devant le train prêt à s’ébranler, il tendit la main à M. Ravaisson ; on échangea des paroles émues. Il n’en est pas moins vrai que ce fut l’attitude de M. Cousin à son égard qui découragea M. Ravaisson de devenir, si l’on peut parler ainsi, un philosophe de profession, et qui le détermina à suivre une autre carrière.

M. de Salvandy, alors ministre de l’Instruction publique, connaissait M. Ravaisson personnellement. Il le prit pour chef de cabinet. Peu de temps après, il le chargea (pour la forme, car M. Ravaisson n’occupa jamais ce poste) d’un cours à la Faculté de Rennes. Enfin, en 1839, il lui confiait