Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre deux esprits qui planaient haut l’un et l’autre et se rencontraient sur certains sommets. D’ailleurs, la conversation fut assez difficile entre les deux philosophes, l’un connaissant mal le français et l’autre ne parlant guère davantage l’allemand.

Voyages, conversations, relations mondaines, tout cela dut éveiller la curiosité de M. Ravaisson et exciter aussi son esprit à se produire plus complètement au dehors. Mais les causes qui l’amenèrent à se concentrer sur lui-même furent plus profondes.

En première ligne il faut placer un contact prolongé avec la philosophie d’Aristote. Déjà le mémoire couronné témoignait d’une étude serrée et pénétrante des textes. Mais, dans l’ouvrage publié, nous trouvons plus que la connaissance du texte, plus encore que l’intelligence de la doctrine : une adhésion du cœur en même temps que de l’esprit, quelque chose comme une imprégnation de l’âme entière. Il arrive que des hommes supérieurs se découvrent de mieux en mieux eux-mêmes à mesure qu’ils pénètrent plus avant dans l’intimité d’un maître préféré. Comme les grains éparpillés de la limaille de fer, sous l’influence du barreau aimanté, s’orientent vers les pôles et se disposent en courbes harmonieuses, ainsi, à l’appel du génie qu’elle aime, les virtualités qui sommeillaient çà et là dans une âme s’éveillent, se rejoignent, se concertent en vue d’une action commune. Or, c’est par cette concentration de toutes les puissances de l’esprit et du cœur sur un point unique que se constitue une personnalité.

Mais, à côté d’Aristote, une autre influence n’a cessé de s’exercer sur M. Ravaisson, l’accompagnant à travers la vie comme un démon familier.

Dès son enfance, M. Ravaisson avait manifesté des dis-