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par synthèse. Sa méthode consiste à prendre les idées emmagasinées dans le langage, à les redresser ou à les renouveler, à les circonscrire dans une définition, à en découper l’extension et la compréhension selon leurs articulations naturelles, à en pousser aussi loin que possible le développement. Encore est-il rare qu’il effectue ce développement tout d’un coup : il reviendra à plusieurs reprises, dans des traités différents, sur le même sujet, suivant à nouveau le même chemin, avançant toujours un peu plus loin. Quels sont les éléments impliqués dans la pensée ou dans l’existence ? Qu’est-ce que la matière, la forme, la causalité, le temps, le lieu, le mouvement ? Sur tous ces points, et sur cent autres encore, il a fouillé le sol ; de chacun d’eux il a fait partir une galerie souterraine qu’il a poussée en avant, comme l’ingénieur qui creuserait un tunnel immense en l’attaquant simultanément sur un grand nombre de points. Et, certes, nous sentons bien que les mesures ont été prises et les calculs effectués pour que tout se rejoignît ; mais la jonction n’est pas toujours faite, et souvent, entre des points qui nous paraissaient près de se toucher, alors que nous nous flattions de n’avoir à retirer que quelques pelletées de sable, nous rencontrons le tuf et le roc. M. Ravaisson ne s’arrêta devant aucun obstacle. La métaphysique qu’il nous expose à la fin de son premier volume, c’est la doctrine d’Aristote unifiée et réorganisée. Il nous l’expose dans une langue qu’il a créée pour elle, où la fluidité des images laisse transparaître l’idée nue, où les abstractions s’animent et vivent comme elles vécurent dans la pensée d’Aristote. On a pu contester l’exactitude matérielle de certaines de ses traductions ; on a élevé des doutes sur quelques-unes de ses interprétations ; surtout, on s’est demandé si le rôle de l’historien était bien de pousser l’unification d’une doctrine plus loin que ne l’a voulu faire