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ment, il devient ainsi un milieu immobile. Je verrais que l’hypothèse de ce temps homogène est simplement destinée à faciliter la comparaison entre les diverses durées concrètes, à nous permettre de compter des simultanéités et de mesurer un écoulement de durée par rapport à un autre. Et enfin je comprendrais qu’en accolant à la représentation d’un état psychologique élémentaire l’indication d’un nombre déterminé de minutes et de secondes, je me borne à rappeler que l’état a été détaché d’un moi qui dure et à délimiter la place où il faudrait le remettre en mouvement pour le ramener, de simple schéma qu’il est devenu, à la forme concrète qu’il avait d’abord. Mais j’oublie tout cela, n’en ayant que faire dans l’analyse.

C’est dire que l’analyse opère sur l’immobile, tandis que l’intuition se place dans la mobilité ou, ce qui revient au même, dans la durée. Là est la ligne de démarcation bien nette entre l’intuition et l’analyse. On reconnaît le réel, le vécu, le concret, à ce qu’il est la variabilité même. On reconnaît l’élément à ce qu’il est invariable. Et il est invariable par définition, étant un schéma, une reconstruction simplifiée, souvent un simple symbole, en tout cas une vue prise sur la réalité qui s’écoule.

Mais l’erreur est de croire qu’avec ces schémas on recomposerait le réel. Nous ne saurions trop le répéter : de l’intuition on peut passer à l’analyse, mais non pas de l’analyse à l’intuition.

Avec de la variabilité je ferai autant de variations, autant de qualités ou modifications qu’il me plaira, parce que ce sont là autant de vues immobiles, prises par l’analyse, sur la mobilité donnée à l’intuition. Mais ces modifications mises bout à bout ne produiront rien qui ressemble à la variabilité, parce qu’elles n’en étaient pas des parties, mais des éléments, ce qui est tout autre chose.