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aussi disparates que possible, on empêchera l’une quelconque d’entre elles d’usurper la place de l’intuition qu’elle est chargée d’appeler, puisqu’elle serait alors chassée tout de suite par ses rivales. En faisant qu’elles exigent toutes de notre esprit, malgré leurs différences d’aspect, la même espèce d’attention et, en quelque sorte, le même degré de tension, on accoutumera peu à peu la conscience à une disposition toute particulière et bien déterminée, celle précisément qu’elle devra adopter pour s’apparaître à elle-même sans voile[1]. Mais encore faudra-t-il qu’elle consente à cet effort. Car on ne lui aura rien montré. On l’aura simplement placée dans l’attitude qu’elle doit prendre pour faire l’effort voulu et arriver d’elle-même à l’intuition. Au contraire, l’inconvénient des concepts trop simples, en pareille matière, est d’être véritablement des symboles, qui se substituent à l’objet qu’ils symbolisent, et qui n’exigent de nous aucun effort. En y regardant de près, on verrait que chacun d’eux ne retient de l’objet que ce qui est commun à cet objet et à d’autres. On verrait que chacun d’eux exprime, plus encore que ne fait l’image, une comparaison entre l’objet et ceux qui lui ressemblent. Mais comme la comparaison a dégagé une ressemblance, comme la ressemblance est une propriété de l’objet, comme une propriété a tout l’air d’être une partie de l’objet qui la possède, nous nous persuadons sans peine qu’en juxtaposant des concepts à des concepts nous recomposerons le tout de l’objet avec ses parties et que nous en obtiendrons, pour ainsi dire, un équivalent intellectuel. C’est ainsi que nous croirons former une représentation

  1. Les images dont il est question ici sont celles qui peuvent se présenter à l’esprit du philosophe quand il veut exposer sa pensée à autrui. Nous laissons de côté l’image, voisine de l’intuition, dont le philosophe peut avoir besoin pour lui-même, et qui reste souvent inexprimée.