Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une de ses fonctions était justement de masquer la durée, soit dans le mouvement soit dans le changement.

S’agit-il du mouvement ? L’intelligence n’en retient qu’une série de positions : un point d’abord atteint, puis un autre, puis un autre encore. Objecte-t-on à l’entendement qu’entre ces points se passe quelque chose ? Vite il intercale des positions nouvelles, et ainsi de suite indéfiniment. De la transition il détourne son regard. Si nous insistons, il s’arrange pour que la mobilité, repoussée dans des intervalles de plus en plus étroits à mesure qu’augmente le nombre des positions considérées, recule, s’éloigne, disparaisse dans l’infiniment petit. Rien de plus naturel, si l’intelligence est destinée surtout à préparer et à éclairer notre action sur les choses. Notre action ne s’exerce commodément que sur des points fixes ; c’est donc la fixité que notre intelligence recherche ; elle se demande où le mobile est, où le mobile sera, où le mobile passe. Même si elle note le moment du passage, même si elle paraît s’intéresser alors à la durée, elle se borne, par là, à constater la simultanéité de deux arrêts virtuels : arrêt du mobile qu’elle considère et arrêt d’un autre mobile dont la course est censée être celle du temps. Mais c’est toujours à des immobilités, réelles ou possibles, qu’elle veut avoir affaire. Enjambons cette représentation intellectuelle du mouvement, qui le dessine comme une série de positions. Allons droit à lui, regardons-le sans concept interposé : nous le trouvons simple et tout d’une pièce. Avançons alors davantage ; obtenons qu’il coïncide avec un de ces mouvements incontestablement réels, absolus, que nous produisons nous-mêmes. Cette fois nous tenons la mobilité dans son essence, et nous sentons qu’elle se confond avec un effort dont la durée est une continuité indivisible. Mais comme un certain espace aura été franchi,