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sance active, qui a produit ces corps eux-mêmes et qui, en raison de l’ordre dont l’univers témoigne, ne peut être qu’une cause intelligente. Si nous nous trompons quand nous érigeons en réalités, sous le nom d’idées générales, les noms que nous avons donnés à des groupes d’objets ou de perceptions plus ou moins artificiellement constitués par nous sur le plan de la matière, il n’en est plus de même quand nous croyons découvrir, derrière le plan où la matière s’étale, les intentions divines : l’idée générale qui n’existe qu’en surface et qui relie les corps aux corps n’est sans doute qu’un mot, mais l’idée générale qui existe en profondeur, rattachant les corps à Dieu ou plutôt descendant de Dieu aux corps, est une réalité ; et ainsi le nominalisme de Berkeley appelle tout naturellement ce développement de la doctrine que nous trouvons dans la Siris et qu’on a considéré à tort comme une fantaisie néo-platonicienne ; en d’autres termes, l’idéalisme de Berkeley n’est qu’un aspect de la théorie qui met Dieu derrière toutes les manifestations de la matière. Enfin, si Dieu imprime en chacun de nous des perceptions ou, comme dit Berkeley, des « idées », l’être qui recueille ces perceptions ou plutôt qui va au-devant d’elles est tout l’inverse d’une idée : c’est une volonté, d’ailleurs limitée sans cesse par la volonté divine. Le point de rencontre de ces deux volontés est justement ce que nous appelons la matière. Si le percipi est passivité pure, le percipere est pure activité. Esprit humain, matière, esprit divin deviennent donc des termes que nous ne pouvons exprimer qu’en fonction l’un de l’autre. Et le spiritualisme de Berkeley se trouve lui-même n’être qu’un aspect de l’une quelconque des trois autres thèses.

Ainsi les diverses parties du système s’entrepénètrent, comme chez un être vivant. Mais, comme je le disais au