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comme un système complet, qui embrasse tout ce que l’on connaît. Mais ce serait se tromper étrangement que de prendre pour un élément constitutif de la doctrine ce qui n’en fut que le moyen d’expression. Telle est la première erreur à laquelle nous nous exposons, comme je le disais tout à l’heure, quand nous abordons l’étude d’un système. Tant de ressemblances partielles nous frappent, tant de rapprochements nous paraissent s’imposer, des appels si nombreux, si pressants, sont lancés de toutes parts à notre ingéniosité et à notre érudition, que nous sommes tentés de recomposer la pensée du maître avec des fragments d’idées pris çà et là, quittes à le louer ensuite d’avoir su — comme nous venons de nous en montrer capables nous-mêmes — exécuter un joli travail de mosaïque. Mais l’illusion ne dure guère, car nous nous apercevons bientôt que, là même où le philosophe semble répéter des choses déjà dites, il les pense à sa manière. Nous renonçons alors à recomposer ; mais c’est pour glisser, le plus souvent, vers une nouvelle illusion, moins grave sans doute que la première, mais plus tenace qu’elle. Volontiers nous nous figurons la doctrine — même si c’est celle d’un maître — comme issue des philosophies antérieures et comme représentant « un moment d’une évolution ». Certes, nous n’avons plus tout à fait tort, car une philosophie ressemble plutôt à un organisme qu’à un assemblage, et il vaut encore mieux parler ici d’évolution que de composition. Mais cette nouvelle comparaison, outre qu’elle attribue à l’histoire de la pensée plus de continuité qu’il ne s’en trouve réellement, a l’inconvénient de maintenir notre attention fixée sur la complication extérieure du système et sur ce qu’il peut avoir de prévisible dans sa forme superficielle, au lieu de nous inviter à toucher du doigt la nouveauté et la simplicité du fond. Un philosophe digne de