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gence, une fois le brouillard tombé, comme un système de relations. Le réel devient encore une fois l’éternel, avec cette seule différence que c’est l’éternité des Lois en lesquelles les phénomènes se résolvent, au lieu d’être l’éternité des Idées qui leur servent de modèle. Mais, dans un cas comme dans l’autre, nous avons affaire à des théories. Tenons-nous-en aux faits. Le Temps est immédiatement donné. Cela nous suffit, et, en attendant qu’on nous démontre son inexistence ou sa perversité, nous constaterons simplement qu’il y a jaillissement effectif de nouveauté imprévisible.

La philosophie y gagnera de trouver quelque absolu dans le monde mouvant des phénomènes. Mais nous y gagnerons aussi de nous sentir plus joyeux et plus forts. Plus joyeux, parce que la réalité qui s’invente sous nos yeux donnera à chacun de nous, sans cesse, certaines des satisfactions que l’art procure de loin en loin aux privilégiés de la fortune ; elle nous découvrira, par delà la fixité et la monotonie qu’y apercevaient d’abord nos sens hypnotisés par la constance de nos besoins, la nouveauté sans cesse renaissante, la mouvante originalité des choses. Mais nous serons surtout plus forts, car à la grande œuvre de création qui est à l’origine et qui se poursuit sous nos yeux nous nous sentirons participer, créateurs de nous-mêmes. Notre faculté d’agir, en se ressaisissant, s’intensifiera. Humiliés jusque-là dans une attitude d’obéissance, esclaves de je ne sais quelles nécessités naturelles, nous nous redresserons, maîtres associés à un plus grand Maître. Telle sera la conclusion de notre étude. Gardons-nous de voir un simple jeu dans une spéculation sur les rapports du possible et du réel. Ce peut être une préparation à bien vivre.