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que c’est tout le contraire, que le possible implique la réalité correspondante avec, en outre, quelque chose qui s’y joint, puisque le possible est l’effet combiné de la réalité une fois apparue et d’un dispositif qui la rejette en arrière. L’idée, immanente à la plupart des philosophies et naturelle à l’esprit humain, de possibles qui se réaliseraient par une acquisition d’existence, est donc illusion pure. Autant vaudrait prétendre que l’homme en chair et en os provient de la matérialisation de son image aperçue dans le miroir, sous prétexte qu’il y a dans cet homme réel tout ce qu’on trouve dans cette image virtuelle avec, en plus, la solidité qui fait qu’on peut la toucher. Mais la vérité est qu’il faut plus ici pour obtenir le virtuel que le réel, plus pour l’image de l’homme que pour l’homme même, car l’image de l’homme ne se dessinera pas si l’on ne commence par se donner l’homme, et il faudra de plus un miroir. »

C’est ce qu’oubliait mon interlocuteur quand il me questionnait sur le théâtre de demain. Peut-être aussi jouait-il inconsciemment sur le sens du mot « possible ». Hamlet était sans doute possible avant d’être réalisé, si l’on entend par là qu’il n’y avait pas d’obstacle insurmontable à sa réalisation. Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible : et il va de soi que cette non-impossibilité d’une chose est la condition de sa réalisation. Mais le possible ainsi entendu n’est à aucun degré du virtuel, de l’idéalement préexistant. Fermez la barrière, vous savez que personne ne traversera la voie : il ne suit pas de là que vous puissiez prédire qui la traversera quand vous ouvrirez. Pourtant du sens tout négatif du terme « possible » vous passez subrepticement, inconsciemment, au sens positif. Possibilité signifiait tout à l’heure « absence d’empêchement » ; vous en faites maintenant une « préexistence sous forme