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ragions je ne sais quel relâchement de l’esprit. Et parce que la permanence de la substance était à nos yeux une continuité de changement, on a dit que notre doctrine était une justification de l’instabilité. Autant vaudrait s’imaginer que le bactériologiste nous recommande les maladies microbiennes quand il nous montre partout des microbes, ou que le physicien nous prescrit l’exercice de la balançoire quand il ramène les phénomènes de la nature à des oscillations. Autre chose est un principe d’explication, autre chose une maxime de conduite. On pourrait presque dire que le philosophe qui trouve la mobilité partout est seul à ne pas pouvoir la recommander, puisqu’il la voit inévitable, puisqu’il la découvre dans ce qu’on est convenu d’appeler immobilité. Mais la vérité est qu’il a beau se représenter la stabilité comme une complexité de changement, ou comme un aspect particulier du changement, il a beau, n’importe comment, résoudre en changement la stabilité : il n’en distinguera pas moins, comme tout le monde, stabilité et changement. Et pour lui, comme pour tout le monde, se posera la question de savoir dans quelle mesure c’est l’apparence spéciale dite stabilité, dans quelle mesure c’est le changement pur et simple, qu’il faut conseiller aux sociétés humaines. Son analyse du changement laisse cette question intacte. Pour peu qu’il ait du bon sens, il jugera nécessaire, comme tout le monde, une certaine permanence de ce qui est. Il dira que les institutions doivent fournir un cadre relativement invariable à la diversité et à la mobilité des desseins individuels. Et il comprendra peut-être mieux que d’autres le rôle de ces institutions. Ne continuent-elles pas dans le domaine de l’action, en posant des impératifs, l’œuvre de stabilisation que les sens et l’entendement accomplissent dans le domaine de la connaissance quand ils condensent