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LA VARIATION BRUSQUE

(sans compter que ce sont en réalité des lésions, je veux dire des diminutions ou suppressions de quelque chose, et non pas des additions, ce qui est bien différent). Mais quand on nous parle de changements « corrélatifs » survenant tout à coup dans les diverses parties de l’œil, le mot est pris dans un sens tout nouveau : il s’agit cette fois d’un ensemble de changements non seulement simultanés, non seulement liés entre eux par une communauté d’origine, mais encore coordonnés entre eux de telle manière que l’organe continue à accomplir la même fonction simple, et même qu’il l’accomplisse mieux. Qu’une modification du germe, qui influence la formation de la rétine, agisse en même temps aussi sur celle de la cornée, de l’iris, du cristallin, des centres visuels, etc., je l’accorde, à la rigueur, encore que ce soient là des formations autrement hétérogènes entre elles que ne le sont sans doute des poils et des dents. Mais que toutes ces variations simultanées se fassent dans le sens d’un perfectionnement ou même simplement d’un maintien de la vision, c’est ce que je ne puis admettre dans l’hypothèse de la variation brusque, à moins qu’on ne fasse intervenir un principe mystérieux dont le rôle serait de veiller aux intérêts de la fonction : mais ce serait renoncer à l’idée d’une variation « accidentelle ». En réalité, ces deux sens du mot « corrélation » interfèrent souvent ensemble dans l’esprit du biologiste, tout comme ceux du terme « adaptation ». Et la confusion est presque légitime en botanique, là précisément où la théorie de la formation des espèces par variation brusque repose sur la base expérimentale la plus solide. Chez les végétaux, en effet, la fonction est loin d’être liée à la forme aussi étroitement que chez l’animal. Des différences morphologiques profondes, telles qu’un changement dans la forme des feuilles, sont sans influence appréciable sur